1960, le bonheur ? Pas vraiment…

Réalisé par deux poids lourds du regard sur la société, Jean Rouch, cinéaste et Edgar Morin, sociologue, ce film, « Chronique d’un été », qui a été tourné l’été 1960 a reçu le prix de la critique à Cannes, en 1961.
Ce qu’en dit Wikipedia : « Paris, été 1960, Edgar Morin et Jean Rouch interviewent des Parisiens sur la façon dont ils se débrouillent avec la vie. Première question : êtes-vous heureux ? Les thèmes abordés sont variés: l’amour, le travail, les loisirs, la culture, le racisme etc. Le film est également un questionnement sur le cinéma documentaire : cinéma-vérité et cinéma-mensonge. Quel personnage jouons-nous devant une caméra et dans la vie ? »
Les protagonistes de l’affaire interviewent des inconnus dont certains entrent dans le groupe et tissent des relations qu’ils vont rejouer devant la camera. Car les auteurs pensent qu’on se lâche mieux dans une ambiance conviviale où l’on peut manger, boire et fumer. (Ils fument tous comme des dingues).
Ce qui est remarquable, c’est la pudeur des gens sur leur vie personnelle. Rappelons que les premières émissions  psy où les gens déballaient leurs problèmes sont arrivées bien plus tard et ont fait scandale ! Donc, on ne parlait pas de ça, de la relation simplement amoureuse. Affaire privée. On pouvait juste évoquer le fait que oui, « dans mon foyer » ça va bien. Et c’était pas si mal, déjà. Une des filles — sorte de Béatrice Dalle italienne stupéfiante — qui est tombée amoureuse  durant le tournage se confie mais c’est très critiqué par les autres, ensuite.
En revanche, on est plus loquace sur les conditions de travail qui sont assez épouvantables dans les ateliers Renault ou autre, où  le petit chef a tous les droits. Il y a des millions d’ouvriers dont la vie se résume à métro, boulot, dodo. Et peur de se faire licencier. Il y a aussi les intellos, ou étudiants (on verra Régis Debray très jeune mais on ne le saura qu’après la projo).
Où ils vivent, tous ces gens, c’est loin d’être le minimum syndical. Souvent dans des piaules minables, sans eau ni chauffage, sous les toits en général et loin de Paris, déjà. Ils se lèvent très très tôt et le soir, ne font pas grand chose. Il n’y a pas grand chose à faire à cette époque le soir, pas de télé, pas de téléphone, pas de livres de poche… Les rues de Paris sont moches, toutes noires — Malraux n’est pas encore passé par là avec sa loi sur le ravalement — , les jeunes font adultes, soucieux, leurs engagements politiques sont déçus et la guerre d’Algérie les attend, pour les envoyer dans l’horreur durant 28 mois !
Une séquence drôle se passe à Saint Trop car Rouch trouvait que le film était tristouille. Et là, une starlette insensée, taille de guêpe,sosie cheap de Bardot, nous donne sa petite leçon de vie : c’est la mode de dire qu’on s’emmerde, à Paris, à Saint Trop, partout,  mais elle, elle s’amuse bien, on la prend en photo, elle fait du ski nautique, elle profite joyeusement… une blonde qui finalement, n’est pas si conne. (je me souviens qu’effectivement pour faire bien, il convenait d’être « blasé ». Ça n’a pas tellement changé).
Alors quoi ? Tous ces gens qui affirment qu’on était des petits vernis, si on les envoyait vivre ces années-là, ben ils feraient une drôle de tête ! Je vous le dis en face…

Extrait de 30 mn

Extrait de 5 mn  sur le racisme

Un très bon article de Critikat

Texte © dominique cozette

Bidasses des sixties et autres troufions

 » Je ne pars pas en permission ce week-end, un événement depuis 8 mois. Je ne suis pas de service, seulement, je n’avais rien de particulier pour occuper ces deux jours chez moi. Si, bien sûr, je pouvais sortir le soir, pour aller où ? Encore danser et draguer la faune féminine. Non, je reste dans l’Anjou. Je vais mettre ma correspondance à jour. Ensuite ce soir, j’irai dîner en ville dans une charmante petite auberge où l’on ne voit aucun « bidasse ». (…) Ensuite, je vais tenir une permanence  de cinéma dans une salle d’Angers, je remplace un camarade qui désirait partir en permission. Cette permanence n’est pas déplaisante quand le film est bon, cela me permet de reprendre certains « garçons militaires » bien entendu dans leur tenue. J’ai un peu dans ce sens l’impression de servir à quelque chose, de rénover un peu, rehausser l’attitude vulgaire et délinquante du « bidasse-type ». Et ils sont rarement beaux, ces « affreux gabarits ». Le plus ennuyeux dans cette histoire, c’est que je dois moi-même porter la tenue. Résultat : je suis contraint de repasser pantalon, veste et astiquer mes boutons et chaussures. Un bon petit célibataire.  » (Bob, Angers. 65)

 » Incorporé à Swippes (51) dans le 15ème régiment d’artillerie lourde. Je passe mon temps dans les marches, les revues de paquetage, les piqûres..tout un programme. S’il fait froid à Paris, je vous assure qu’ici il gèle à –27. d’autant plus que le treillis n’est pas épais. Le camp est perché sur une colline balayée par des rafles de vents glacés, entourée de champs gelés à perte de vue habités par des « corbacs ». Swippes : trois maisons et demie, un cinéma et un café. Bourrés de bidasses. Une merveille ! Heureusement qu’il n’y en a que pour 15 mois ou presque ! (JY. Swippes 65) // Ici, c’est à devenir dingue. On court sans arrêt et l’on ne fait rien de sensé, encore moins d’intéressant. Du vrai bourrage de crâne. Exemple de corvée : nettoyer un couloir à trois avec un bout de serpillière de 10 cm // Je fayotte à mort et aujourd’hui, Casimir le chef m’a confié la déco d’un couloir avec pour récompense une PERM. » (Jean-Yves, Swippes. 66)

« Je me retrouve bêtement à l’armée et comme un fait exprès, dans l’arme que j’avais choisie « la Marine ». Je suis donc à bord du sous-marin « L’espadon » et je fais ma première croisière. Ma première impression à bord fut désastreuse. On a plongé à 200 m. et j’étais malade comme une bête, en plus, c’est très petit. La propreté, on n’en parle pas. En deux mois, tu risques de te laver 2 ou 3 fois maximum. Il y a une nette différence entre le laisser aller des vacances et l’armée, enfin tout le monde y passe. » (Dany, Lorient. 65)

« Mon père m’annonce à l’instant que j’ai un sursis militaire jusqu’à 23 ans, ce qui est toujours agréable à apprendre quand on est anti-militariste comme moi ! » (Jean-Eudes, St Cloud. 65 ?)

Petites tranches de vie des années 60 où les garçons étaient tenus de faire leur service.  Nostalgie ? Je ne crois pas.

dessin © dominiquecozette d’après un dessin de Foldvari.

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