En attendant demain…

En attendant demain, titre pas très parlant pour ce très beau roman de Nathacha Appanah que j’ai eu envie de lire après le formidable Le ciel par-dessus le toit (encore un titre qui ne livre rien !) dont j’avais fait un article tout récemment (voir ici).
Dès les premières lignes, on sait qu’un drame a eu lieu puisque Laura, la fille d’Anita, notre héroïne, ne peut plus marcher depuis quatre ans, cinq mois et treize jours, et que le mari, Adam, est en prison depuis la même durée, exactement. On part alors vingt ans en arrière. On est à Montreuil pour le réveillon mais ni l’un ni l’autre ne prise ce genre de fiesta. Ils se retrouvent dans l’ombre, sur un canapé où les invités déposent les manteaux. Et ils se parlent. Lui est un grand bel homme du sud-ouest, il est artiste peintre, ébéniste, bûcheron, marathonien. Et étudiant en archi. Elle est métissée, issue de l’île Maurice, ne se sent à sa place à peu près nulle part et rêve de devenir écrivain. Ils s’installent dans sa région, les Landes, près de la mer. Elle fait des piges sans intérêt pour un salaire de misère et lui réalise des maisons, des jardins, des meubles. Il a fabriqué de ses mains la maison qu’ils habitent. Ils sont heureux, tout est beau parce qu’ils savent apprécier la vie, les couleurs, les odeurs. Ils sont terriblement sensuels.
Puis l’enfant paraît, ils sont comblés. Anita est une maîtresse de maison parfaite. Quand elle invite leurs amis, ils sont éberlués par le goût qu’elle a de tout rendre beau. Ça leur donne envie de quitter la ville et de s’installer là, c’est tellement idyllique. Mais, des années plus tard, toute cette perfection finit par gaver ces mêmes amis, trop c’est trop. On n’en est pas encore  là, mais on y arrivera. Le couple va s’user, elle est devenue maigre, elle ne ressemble plus à la jolie fille des îles, bohème, qu’il a aimée.
Jusqu’au jour où Adèle entre dans leur vie. Une femme plantureuse, hiératique, magnifique, qui remet des paillettes dans leur train-train. Elle est sans papiers et vient aussi de Maurice, ce qui créé des liens. Et alors, elle raconte son parcours, les accidents tragiques qui lui ont donné cette volonté de n’être plus personne. Elle a même changé de prénom. Et la vie est redevenue tellement douce avec cette femme que le couple reprend ses vieux rêves perdus : lui se remet à peindre, des choses incroyables, et elle commence enfin son livre… Et tout semble aller pour le mieux. Le succès est derrière la porte.
Mais voilà. Le mieux de durera pas. Le pire arrivera.
L’écriture de Nathacha est d’une suavité sans pareille. On respire ses parfums, on imagine ses couleurs chatoyantes, on ressent ses caresses, on entend sa vie riche des chants de la nature. C’est très beau. Ça serait très relaxant si on ne guettait pas le drame au bout de l’histoire. Elle est une amoureuse de la langue, de la vie, on se noie parfois dans ses petits bonheurs, on ne trouve parfois fade à côté de sa flamboyance. Un très beau livre !

En attendant demain de Nathacha Appanah. 2015. Aux éditions Folio Gallimard. 220 pages, 7,20 €.

Texte © dominique cozette

Le ciel par-dessus le toit

Avez-vous déjà eu envie de relire immédiatement le livre que vous venez de fermer ? Moi, oui, ce matin. Le ciel par-dessus le toit, drôle de titre qui ne dit rien du livre sauf si l’on sait qu’il vient d’un poème écrit par Verlaine lorsqu’il était en prison. Nathacha Appanah est une écrivaine mauricienne vivant en France. Je la découvre avec ce merveilleux roman, court, simple mais riche d’une ambiance totalement originale avec ses trois personnages : Phénix, la mère fermée à double tour sur son ressenti, sa fille Paloma qui tente de se rendre transparente au monde et Loup, son fils, ultra-sensible, poète, rêveur, à la dérive.
Dès le départ on apprend que Loup est embarqué en prison pour avoir conduit sans permis, roulé à contresens et provoqué des accidents. Il a dix-ans, n’est pas intégré, a besoin parfois de courir deux heures non stop pour éviter d’exploser. On apprend qu’il voulait juste retrouve sa sœur dans la ville de C. qui lui avait promis dix ans plus tôt de venir le chercher, de le prendre avec elle. Parce qu’elle-même ne pouvait plus supporter sa vie avec cette mère forte, inébranlable, tatouée de partout, qui refusait de lui parler du père inconnu qui n’était pas le même père inconnu que celui de son frère.
Phénix, la mère, portait officiellement un prénom suranné : Eliette. C’était une petite fille superbe, sage, intelligente, avec une voix d’or, une merveille, quoi. Chaque année elle chantait à la fête de l’usine de son père jusqu’au jour où, à l’aube de son adolescence, un sagouin la salisse. Ce qui lui fit péter un câble devant la salle, devenant sauvagement obscène. Elle fut internée. Puis elle brûla la maison. Puis elle se tira. Se brouilla avec ses parents. Se tatoua, vendit des pièces détachées, fit deux enfants sans père à dix ans d’intervalle.
On s’attache alors à Loup qui manque tragiquement de tendresse et de câlins maternels, puis de tout lorsque Paloma les quitte. C’est un être adorable, toujours ailleurs, qui n’écoute pas ce qu’on lui dit car les mots s’amusent de son esprit. Il sent et ressent tout de telle façon qu’il se console de la vie ingrate qu’il mène dans leur maison pourrie. Mais curieusement, en prison, il trouve ses marques, une petite routine qui lui va bien. Le plus joli passage, même s’ils le sont tous, c’est lorsqu’il parle (enfin) au juge : les mots lui viennent comme dans un rêve tout en poésie où il explique la douce violence de son existence. Magnifique.

Le ciel par-dessus le toit de Nathacha Appanar, 2019. Editions Gallimard. 128 pages. 14 €.

Texte © dominique cozette

 

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