Pour quelques dollars de moins

Abondance, le premier roman d’un hyper doué de la littérature américaine, finaliste au National Book Award, Jakob Guanzon, est, comme son nom ne l’indique pas, une histoire de manque terrible. Manque de moyens, principalement, lorsque que tu n’as pas assez de dollars pour fêter dignement les huit ans de ton fils dans un McDo, lui faire un beau cadeau puis aller passer une nuit, comble du luxe, dans un motel pouilleux où tu penses au plaisir d’un long bain brûlant, d’une soirée devant la télé et d’un vrai lit sans autre problème que la satisfaction de ton petit bonhomme. Car Junior et Henri, notre héros, pieutent dans une voiture, un pick up, c’est l’hiver, il fait un froid de gueux, le môme a de la fièvre, le réservoir de la caisse est presque vide mais demain est un autre jour puisque Henri a décroché un entretien d’embauche pour enfin gagner un peu d’argent.
Hélas, le rêve américain est devenu un cauchemar pour des millions de personnes. Pourtant, Henri n’est pas si mal né, à part « son connard de père » immigré qui a dû renoncer à ses ambition pour l’élever car sa mère est morte trop vite.
Puis les conneries de l’ado, les mauvaises rencontres, la dope et Michelle dont il tombe raide dingue dans le centre de réhab où ils se font soigner. Très mauvais choix. Une nana mal éduquée, brutale, toujours addictive, qui claque tout le fric qu’il gagne en substances et alcool… Ils vivent dans un mobil home pourri au sein d’une communauté précaire, le bébé se pointe et les difficultés aussi.
Je ne vais pas vous raconter les innombrables galères d’Henri, rien ne va jamais, tout s’écroule toujours et malgré sa moralité saine et sa profonde sensibilité, il ne pourra s’empêcher de rejoindre le mauvais côté de la vie et d’y ajouter de la violence.
Vous penserez que ce roman n’est pas à l’eau de rose, certes, il serait même plombant s’il n’était pas écrit avec autant de richesse, de crudité poétique, de métaphores. Les portraits qu’il fait des gens, passants ordinaires, sont un régal d’incitations à les peindre ou à les compléter par la vie qu’ils mènent et cette façon naturaliste qu’il a pour aborder la pauvreté borderline nous montre comme c’est stressant de se sentir toujours au bord du vide. Mais son écriture est tellement réjouissante qu’elle habille magnifiquement la misère qui, comme le chantait Charles, est plus belle au soleil. Pas de soleil, ici, mais beaucoup d’amour malgré tout.
Une chose importante : chaque tête de chapitre a pour titre la somme qu’il a en poche, des miettes de fric, la plus basse étant de 0,38 dollars.

Abondance de Jakob Guanzon (Abundance traduit par Charles Bonnot, 2021), 2023 aux éditions La Croisée. 326 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter