La fille qu'on appelle…

… drôle de titre, me disais-je. La fille qu’on appelle. Mais quoi ? Ça veut dire quoi ? Hé bien, c’est la traduction littérale de call girl. C’est le dernier opus de l’excellent Tanguy Viel dont javais adoré deux livres, La Disparition de Jim Sullivan et Article 353 du code pénal. Ici, il s’agit de Laura, très jolie fille qui avait été débauchée à la sortie du lycée à seize pour faire mannequin. Et un peu plus. Elle a posé pour de la lingerie sur tous les abribus de toutes les villes de France, dont la sienne, bretonne, où elle revient. Elle a vingt ans, pas de travail.
Son père Max le Corre, fut un boxeur gagnant, on dit qu’à son âge, il va remonter sur le ring et massacrer son jeune adversaire. On dit ça. Lui est présentement chauffeur de Quentin le Bars, monsieur le maire. Alors, il va lui demander de donner un coup de pouce à sa fille. Ça tombe bien, l’ami du maire n’est autre que le directeur du casino, grâce au maire d’ailleurs. Alors cet homme, toujours en costard blanc, va héberger Laura et se trouve dans l’obligation de lui fournir un travail. Quel travail ? Hé bien pousser les clients à boire du champagne.
Alors Laura s’installe dans sa studette avec les autres filles. Le maire, conduit par le chauffeur Max, le propre père qui ne sait rien de ça, vient aux nouvelles. Et ce n’est pas que par pure gentillesse. La fille est belle, elle a posé à moitié nue, et lui, c’est un homme, il a des désirs, des besoins comme tous les hommes. Lorsqu’il pose sa main sur sa cuisse, elle sait que c’est cuit. Cependant, elle ne dit rien.
Pourquoi n’avez-vous pas porté plainte contre lui demande le flic qui prend sa déposition. Elle lui répond que c’est contre elle-même qu’elle aurait dû porter plainte. Car le récit qu’on nous fait a lieu au commissariat de la ville, et on ne sait pas de quoi il est question, au début. On s’avance précautionneusement dans l’affaire qui se poursuit, le maire qui devient ministre des affaires maritimes et Laure qui croit que l’emprise n’est pas pour autant levée, qu’elle doit rester à sa disposition. C’est même elle qui s’y doit mettre à sa disposition.
Evidemment, tout ça va nous faire penser au consentement et à toutes les affaires qui y sont rattachées. Y a-t-il eu vraiment viol ? Elle-même est-elle si blanche que ça ? N’a t-elle pas cherché une aventure, après tout ? Les flics tâchent d’éclaircir au mieux les faits mais rien n’est assez précis, et d’ailleurs, de quoi accuse t-elle réellement cet homme puissant, passé au gouvernement, apprécié de ses anciens administrés…
Comme d’habitude chez cet écrivain, ce livre renvoie à une cause qu’il aime défendre, à savoir l’injustice sociale, la lutte désespérée des petits contre les dérives de la toute-puissance.
Ce n’est donc pas vraiment une histoire nouvelle. Le nouveau, c’est la façon que Tanguy Viel nous la raconte, dans un style très sophistiqué, il brode les mots, il tricote les phrases, il sollicite notre curiosité en enjolivant la façon d’exprimer, il attise notre consentement à caresser notre intelligence dans le sens du poil, à titiller notre amour de la chose stylée, bref, il nous distribue du plaisir à chaque sentence sans jamais sacrifier à la facilité. Cette façon de nous traiter en amoureux de la langue, c’est tellement appréciable et tellement jouissif !

La fille qu’on appelle de Tanguy Viel. 2021 aux Editions de Minuit. 174 pages, 16 €.

Texte © dominique cozette

 

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