Fairyland ou pas, un livre bouleversant

Fairyland avec son sous-titre un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 70 avait tout pour me plaire et le mot est faible. Il m’a emballée, il est formidable. Alysia Abott est journaliste et critique littéraire, elle est née en 72, comme ma fille, mais sa mère est morte dans un accident mystérieux. La famille, tante et grands-parents, a proposé d’élever cette délicieuse gamine mais le père, Steve Abott, qui l’aimait tant, n’a pas voulu se séparer d’elle. Il désirait faire d’elle une personne libre et épanouie à son image. Car dans les 70’s, on ne pouvait pas ne pas l’être quand on était bi, poète, bohême et qu’on se fichait pas mal de l’argent.
Ils sont donc partis s’installer loin, à San Francisco, l’endroit où il fallait être, dans le quartier gay de Castro. Pour de bonnes bases culturelles, Steve a inscrit Alysia à l’école franco-américaine. Ça coûtait une blinde pour qui n’avait pas vraiment de revenus réguliers. Alysia, avec sa vie de dépenailles, ne s’est pas vraiment intégrée. Elle ne s’est intégrée nulle part, ayant toujours eu honte de dire que son père couchait avec des hommes, qu’elle croisait régulièrement dans le petit deux-pièces bordélique dans lequel il était hors de question d’inviter ses amies, autre cause de marginalisation. Les amis de son père la trouvaient mignonne mais Steve ne s’accommodait pas facilement de la privation de sa liberté. Bien souvent, petite, elle devait rester dans son coin sans faire de bruit quand il taquinait la plume ou qu’il alimentait le courant littéraire qu’il avait contribué à créer. Plus tard, ado, elle s’en est un peu mieux sortie puis, l’âge venant, elle a eu envie de se tirer. Ce qu’elle fit. Sans scène, ni éclat car c’était bienvenu pour eux deux.
Ils s’aimaient toujours très profondément et s’écrivaient beaucoup.
Puis un jour, la séropositivité, les copains qui meurent. Et le sida qui se déclare et le père, voyant ses jours comptés, qui exige qu’elle vienne l’aider. Ce fut la période la plus sombre de leur relation. Ils n’avaient personne d’autre car les grands-parents avaient coupé les ponts et elle n’avait pas de confidente. Les pédés sont très mal vus, Harvey Milk, maire gay-friendly, est assassiné et le fameux quartier devient une zone sinistre.
Un épisode assez drôle, c’est quand elle vient faire un stage à Paris et qu’elle doit bosser pour avoir un peu de thune, son père ayant toujours été fauché : elle raconte son travail au noir harassant à la Marée, resto chic de Neuilly qui n’engageait que des étudiants étrangers pour les exploiter honteusement.

Ce livre est extrêmement bien écrit dans le sens où tout est dit, décrit et démonté. L’auteure ne prend pas de pincettes pour évoquer les passages difficiles de cette vie qu’elle a malgré tout adorée et rend bien compte de ces terribles années sida qui ont ravagé tout une population d’hommes jeunes. Très beau document.

Fairyland d’Alysia Abott aux éditions Globe l’école des loisirs, 2013 pour l’édition originale, 2015 pour la traduction de Nicolas Richard. 380 pages. 21,50 €

Texte © dominique cozette

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