Le courrier aussi, c’était chronophage

Foin des rengaines sur la chronophagie de l’écran, des mails, blogs, réseaux sociaux, consoles, wii et autres virtualités ! J’en connais qui ont perdu un  temps fou à écrire des lettres, chercher des mots dans le dico, mordre leur porte-plume, regarder le ciel pour voir si l’inspiration y passait, raturer, recommencer puis chiffonner la page, en faire une boule et viser la corbeille. Des heures ! Et souvent pour ne pas envoyer la lettre. (L’avantage pour certains fut de publier leur correspondance, genre comment rentabiliser une activité stérile et solitaire.)
Ne rien faire d’intelligent, d’utile ou de rentable était aussi chronophage, jadis, quand nous n’avions pas tous ces joujoux. On pouvait passer un temps fou à tricoter d’affreux cache-nezpour ses proches en écoutant la famille Duraton. A faire reluise sa bagnole à la nénette — une des activités dominicales préférées des banlieusards de jadis.  A s’asseoir sur le muret des places publiques pour siffler les rares filles qui passaient par là. A collectionner les timbres, les buvards, les porte-clés. A traîner boulevard Saint Michel pour draguer les étudiant(e)s. A écouter en boucle un 45 tours de Herman Hermit, au hasard « no milk today »,  en se tortillant devant sa glace. A se lamenter des heures durant en fumant des clopes, en pressant ses points noirs ou en coupant ses pointes de cheveux.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’interstice pour l’ennui. Hors les activités normales, tout est occupé par quelque chose d’allumé. Les enfants ont le cerveau bourré à craquer de sollicitations permanentes. A peine sur leurs guibolles, ils savent ouvrir l’iphone de leurs parents pour y retrouver leurs apps, cliquer sur la zapette de la télé pour regarder leurs programmes, et manier leurs mini-ordis en plastoc  et tous autres jeux hyper techno achetés à la Grande Récré pour faire de la musique, produire des flashes, des chocs, des étincelles, des sons…
Alors ?
Alors rien. C’est comme ça et si t’es pas content, retourne au vingtième siècle.

Texte et dessin © dominique cozette

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