La fabrique des pervers, glaçant !

Lorsque Camille Kouchner est passée à la Grande Librairie, elle a cité le livre de Sophie Chauveau, la Fabrique des pervers, comme le livre qui l’avait irrémédiablement poussée à écrire la Familia Grande, comme un livre capable de donne les clés pour comprendre l’inceste. Il se trouve que ce livre est effroyable, c’est une caricature de la culture du viol dans toute sa noirceur, sans aucune retenue, sans conscience du mal, sans réflexion, sans pudeur, sans vergogne sans jamais de honte, de regrets ou de remords de la part des dominants et de leurs complices, femmes et mères. Hallucinant !
Sophie Chauveau écrit des livres, dont beaucoup sur les peintres. Un jour, elle reçoit une lettre d’une femme qui  porte le même nom et pense être sa cousine. Oui, elle l’est. Et tout de go, lui annonce que son père l’a violée de ses quatre à quatorze ans. Bienvenue au club, répond Sophie. Elles se retrouvent et le ciel leur tombe sur la tête : pratiquement tous les hommes de la famille sont des violeurs, ils pratiquent l’inceste sur trois générations, sans que jamais cela n’ait fuité. Même une grand-mère, qui dormait toujours avec de jeunes garçons de son clan, a dépucelé son petit-fils.
L’histoire : pendant le siège de Paris, lors de cette immense famine, l’aïeul et un complice ont eu l’idée de vendre la viande des animaux du jardin des plantes. Tuer, voler et transporter l’éléphant ou l’hippopotame était une tâche faramineuse mais ils y sont parvenus. Jusqu’à ce que la ville leur livre les bêtes déjà tuées pour qu’ils la débitent en viande, dans leur « épicerie » , devenue the place to be, où se pressaient les riches. Ils ont fait fortune. L’aïeul, venu d’une campagne profonde, a eu quatre fils et une fille, vite veuve, et tout a été bon pour eux : élevés sans morale ni instruction, sans valeurs bourgeoises,  ils ont vécu comme des princes, se procurant tout ce qu’ils voulaient, en premier les plaisirs sexuels. Tout était à portée de main, en toute impunité, et tous y passaientt : filles, nièces, neveux, belle-filles, belles-sœurs… et ce sur les générations suivantes. Une seule fois, le scandale a failli éclater parce qu’un fils avait violé une voisine (hors de la famille, donc) : le violeur a été envoyé à la légion étrangère et les voisins grassement indemnisés.
Le père de l’autrice, Père, est quelqu’un qui ignore altérité. Tant que quelque chose lui fait plaisir, c’est à lui, il ne voit pas l’autre, le mal que ça peut lui faire, la gêne même. Il est toujours nu chez lui, sa femme, ex-catho convertie au plaisir et au fric, ne se soucie pas qu’il embrasse sa fille « avec la langue » chaque fois qu’ils se croisent, qu’il lui pelote le corps, se frotte à elle, lui demande des privautés, que, lorsqu’elle amène une copine de classe chez eux, qu’il prenne un bain avec comme il le fait avec ses filles. Les mères des copines, horrifiées, leur interdisent de fréquenter Sophie, elle n’aura vite plus d’amies, mais ses parents disent simplement que ce sont des réacs, culs serrés, pas dans leur époque. On est dans années 70, les pédophiles vivent heureux, et dans Libé, la lettre des 69 (sic) sur « la liberté de jouir » est signée d’incroyables personnalités : les attendus Cohn-Bendit, Matzneff, Lang, Sollers, Foucault, Beauvoir, Sartre… mais aussi Dolto, Deleuze, Kouchner… C’est dire que cette époque n’engageait pas à protéger les enfants de la quéquette adulte !
Elle, à part Père, était la proie aussi de son parrain et, après l’avoir refoulé profondément, de son oncle Philippe qu’elle aimait tant. Comme elle aimait ses parents, même si elle n’appréciait pas leurs mœurs. Elle n’avait aucune autre référence puisque tout le monde faisait ça autour d’elle. On baisait devant les enfants, pas grave, on échangeait ses femmes, on faisait un gosse à sa belle-soeur… Donc cet oncle Philippe, il a vécu toute sa vie en hippy séducteur (ils sont très beaux dans cette famille de riches), barbe et cheveux longs, une gandoura et rien dessous pour être toujours prêt à empaler la première nana qui se pointait dans leur maison des Alpilles, et il y avait pléthore. Il a fait beaucoup d’enfants non reconnus, a été toute sa vie entretenus pas ses parents, n’a jamais eu l’idée de penser que c’était mal tout ça.
Le plus hallucinant dans ce livre, sont les réactions de ses parents, âgés, lorsque la thérapie a agi. et qu’elle s’est sentie prête à discuter avec eux sur son ce qu’ils ont fait d’elle. Sa mère, au bord de sa mort, qui a dénié tout abus, ce n’était que des chatouilles, et son père, avec qui elle était fâchée, allant jusqu’à lâcher cette phrase qui l’excusait de tout : bah quoi, je ne t’ai quand même pas enculée. Sidérée, elle a été.  Tous ceux qui se sont exprimés disaient qu’ils donnaient de l’amour, qu’ils adoraient leurs enfants, ce qui est sûrement vrai d’une certaine façon… Ce livre est insensé.
Dans la deuxième partie du livre, Sophie Chauveau décortique tout ce que les victimes ont subi  du point de vue de la psychanalyse et de la psychiatre, du point de vue de l’histoire de la domination patriarcale, de la religion puisqu’ils se prétendaient catholiques, du point de vue de la loi (qui a un peu évolué depuis ces quatre dernières années). On peut comprendre comment cette partie théorique a intéressé Camille Kouchner, friande de toutes données susceptibles d’éclairer ses douloureuses interrogations.
Un livre édifiant dans la monstruosité. (Interview Sophie Chauveau en 2016 ici)

la Fabrique des pervers, Sophie Chauveau, 2016 aux éditions Gallimard. 280 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

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