Yalom encore ! Avec Spinoza

Irving Yalom, toujours lui, ce psychanalyste américain fondu de philosophie, m’a passionnée une nouvelle fois avec Le problème Spinoza. Autant vous l’avouer : je ne suis ni une intello, ni une forcenée de la philo. Je suis même très dilettante. Alors comment fait-il, ce diable d’écrivain, pour me passionner autant avec des sujets comme ça ? Je vous explique.
Il y a deux histoires dans ce livre/ la première concerne Spinoza, au moment où il va avouer à l’aréopage juif qu’il ne croit plus à ces drôles de dieux que fabriquent les hommes de pouvoir pour nous asservir. Il prouve que les écrits, la Thora, le  la Bible sont bourrés de mensonges, de faux et d’à peu près. Il faut dire que c’est un homme très intelligent, avec une mémoire extraordanaire et une soif de savoir inextinguible. Il a donc appris toutes les langues à connaître pour lire dans le texte ces antiquités. Il peut donc prouver les dérapages qui y ont été introduits. Mais les rabbins, comme toute la communauté, sont choqués que cet homme, par ailleurs irréprochable, puisse commettre un tel sacrilège. Pour la peine, il sera excommunié, banni pour toujours, chassé. Nul, même ses proches, n’auront plus le droit d’avoir de contacts avec lui, de lui écrire, de le voir. Spinoza  n’a besoin de rien que de penser, écrire, lire. Mais ça le rend triste. Il fait une croix sur une vie sociale, familiale, et continue son œuvre.
L’autre histoire est celle du Reichleiter Rosenberg, un type assez asocial qui déteste les Juifs et commence à réfléchir à la façon d’en débarrasser l’Europe. On est en 1918. Cet hommes, par ailleurs intelligent, rencontre un beau jour Hitler. Mais ce dernier, bien qu’il lui emprunte ses idées pour élaborer sa théorie et écrire Mein Kampf ne va jamais l’accepter dans sa cour. Pourtant Rosenberg a créé un journal qui porte haut les couleurs du Führer, qui encense ses idées, qui l’aide à parvenir au pouvoir. Quel rapport avec Spinoza ? Il aimerait savoir pourquoi les hommes qu’il admire le plus, notamment Goethe, sont fous de ce philosophe. Il part donc à la quête de ses possessions et, chargé de la confiscation des biens culturels des Juifs (et des autres), retrouve la précieuse bibliothèque de Baruch Spinoza.
Pourquoi c’est plaisant ? Parce que Yalom a recréé la manière du roman : comment ces gens-là vivent, les dialogues, le suspens… Quand les interlocuteurs de Spinoza ne comprennent pas sa pensée, ils le lui avouent et Spinoza l’explicite. A la fin, en prologue, Yalom explique comment il a pris connaissance de tous les faits qu’il a relatés  : on apprend ce qui est réel et ce qui est romancé mais crédible. Palpitant et instructif.

Le problème Spinoza par Irving Yalom aux Edition le Livre de Poche. 548 pages.

Texte © dominique cozette

Comment Schopenhauer m'a scotchée…

La méthode Schopenhauer, encore un livre du psychanalyste Irvin Yalom (le troisième que je dévore), et quel livre ! Cette fois, nous suivons le psy Julius qui, pendant un check-up de routine, s’est vu annoncer qu’il avait un mélanome et que ses jours étaient comptés. Le médecin lui assure cependant, maigre consolation, une année pleine de bonne santé. Après un effondrement d’usage, Julius se ressaisit. Au lieu de tout envoyer promener, il décide de continuer à faire ce qui le passionne depuis toujours : l’aide à ses patients. Cette fois, le roman se focalise sur la thérapie de groupe. Alors qu’il se demande si ses patients ont bien su se remettre d’aplomb grâce à son intervention, un nom lui revient en mémoire, celui de Philip, un addict sexuel infernal, arrogant et manipulateur, qu’il a tenté de « sauver » durant trois ans, sans succès. Il pense alors aux traitements qui se produisent avec un certain retard et fonde l’espoir que c’est ce qu’il s’est passé. Justement non. Philip est éberlué que Julius l’appelle juste à ce moment, après tant d’années, car il comptait lui-même reprendre contact avec lui pour le conseiller dans sa nouvelle activité qui est : psychothérapeute (et docteur en philosophie). Quoi ? Lui ? Aider les autres ? Julius se remémore le personnage froid, insensible, sans aucune empathie. Et c’est le même qu’il revoit, sauf qu’il est guéri. Et comment ? En se référant à Schopenhauer. Au fur et à mesure de leur échange, Julius accepte donc de coacher ce type : autant qu’il soit armé pour aider ses futurs demandeurs. Il l’oblige à suivre sa thérapie de groupe pendant six mois.
Philip est non seulement bien reçu par les autres habitués, mais il devient une sorte de gourou philosophique car il sait tout, il a réponse à tout. Même s’il ne manifeste aucun sentiment, même s’il ne regarde jamais les autres, même s’il ne s’adresse jamais ou presque à eux. Jusqu’au jour où une patiente revient d’un voyage en Inde et reconnaît cet individu haïssable.
Julius va nous raconter par le menu les histoires des personnages, leurs interactions, leurs éclats, les aides qu’ils s’apportent les uns  aux autres, et leur évolution. C’est comme une série, il y a toujours un truc qui se produit pour passionner leurs débats. En plus, et ce n’est pas le moindre, on en apprend beaucoup sur Schopenhauer, sa vie, son état d’esprit, son addiction au sexe et sa volonté de s’en sortir.
La méthode Schopenhauer d’Irvin Yalom, 2005. Traduit de l’américain par Clément Baude. Editions le livre de poche. 546 pages. 7,90 €.

texte © dominique cozette

Et Nietzsche a pleuré

C’est le titre d’un brillant roman d’Irvin Yalom que j’ai découvert avec Mensonges sur le divan, à propos  duquel j’ai écrit un article enthousiaste (voir ici).
Irvin Yalom est psychanalyste et écrivain bourré de talent. Il réussit à nous accrocher dans de longues diatribes entre patients et médecin, ou psy et psy, à transformer des situations douloureuses en objets de suspense. On ne s’ennuie jamais dans ses pages foisonnantes.
Dans Et Nietzsche a pleuré, il met en scène la rencontre entre le Dr Breuer, un des fondateurs de la psychanalyse, et Nietzsche, philosophe pas encore réputé, et aussi Freud, jeune perdreau encore effarouché par les méandres de l’âme humaine mais très pointu et très avisé pour donner des conseils ou analyser des situations embrouillées.
Car ici, il s’agit d’embrouilles. La jeune Lou Salomé, une splendide mademoiselle sans gêne, entre d’autorité dans le cabinet de Breuer pour lui demander de soigner la maladie de Nietzsche, sorte de mal de vivre puissant avec tendances suicidaires. Il se trouve qu’elle est très liée à Nietzsche ainsi qu’à un autre homme et qu’ils ont essayé de faire ménage à trois. Mais Nietzsche ayant été trahi, ne veut plus entendre parler d’elle et rumine douloureusement. Breuer, tombé en extase devant la jeune femme, tentera d’amener Nietzsche à son cabinet, après bien des vicissitudes. En bon joueur d’échecs, il va élaborer diverses stratégies qui vont lentement s’effondrer au fur et à mesure qu’il les met en pratique alors que lui, trichant sur lui-même, va peu à peu s’enfoncer dans la tragédie à quoi bonniste bien connue des grands déprimés. Qui va soigner l’autre ? Comment vont-ils s’aider à retrouver une sorte de joie de vivre même relative ? C’est tout l’enjeu de leur joute haute en réflexions philosophico-métaphysico-psy. Que du bonheur tout en finesse !

Et Nietzsche a pleuré de Irvin Yalom. 1992. Traduit de l’américain par Clément Baude. Edition le Livre de poche. 504 pages. 7,90 €

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter