Sale temps pour les braves. Très sale…

Après avoir découvert son livre posthume, Un dernier verre au bar sans nom (voir mon article), je me suis plongée dans le best-seller de Don Carpenter, Sale temps pour les braves, Hard rain falling in english. Il est dans la même veine : la déveine. Oyez l’histoire d’un enfant abandonné à la naissance — il raconte sa procréation accidentelle par un très jeune couple pas fait pour ça et dont on n’entendra plus parler (c’est ça qui est bien avec Carpenter, ses héros sont comme dans la vie : on les voit puis on ne les voit plus.) — qui démarre assez mal malgré sa bonne volonté. Tout d’abord, pour gagner sa croûte, les paris au billard dans les bars glauques d’une ville sans âme, donc les mauvaises rencontres et les sales coups, la prison du comté où il est traité avec une cruauté sans nom : nu dans un cachot sans fenêtre, juste un trou pour passer la gamelle quand elle existe, quand elle n’est pas empoisonnée histoire de lui coller de terribles diarrhées, pas de matelas, rien. Un trou à rat où il passe plus de quatre mois et d’où il sort l’esprit enragé. Il ne fait aucune concession, ce qui va le ramener, un peu plus tard, dans une prison d’état, Saint Quentin, qu’il considère d’un bon oeil car il y a des règles. Les transgresser ou pas, c’est à lui de voir. Il a fait de la boxe, il est violent, il se fait respecter. La sexualité le travaille. Pas de masturbation possible dans la cellule qu’il partage avec un ami d’avant. Leur amitié va alors se doubler d’une passion physique, par défaut. Lors d’une bagarre, son ami est tué, son amant, son amour, la personne qui a compté le plus.
Une fois sorti, en conditionnelle, il essaie de se tenir à carreau. Il trouve un boulot dans une boulangerie, il trouve une belle  fille, un soir, qui fait partie d’une bande de très riches personnes bienveillantes avec lui. Il n’y croit pas, pourtant oui, elle est amoureuse de lui. Amoureuse et chiante. Imprévisible. Rentrer dans le rang, se marier, faire des enfants, c’est le nouveau beau projet de Jack. Faire comme tout le monde. Sa vie est semée de bonnes intentions mais l’intendance ne suit pas forcément.
L’histoire n’est pas le plus important dans le livre, c’est la façon de traduire le parcours fragile d’un être rejeté par la société, la difficulté de s’intégrer, les questions philosophiques qu’il se pose. Car il lit, il essaie constamment de s’élever pour comprendre le monde, de nous faire part de ses interrogations. Pour qui aime les gros bouquins genre récit initiatique, ce livre remplit bien son but. Il est dense, détaillé, les personnages sont bien dessinés, la fin est pour le moins inattendue mais plausible, elle se passe à Saint-Tropez dans les années 60 !

Sale temps pour les braves (Hard rain falling en VO). 1964, de Don Carpenter, traduction de Céline Leroy. Chez 10/18. 428 pages.

Texte © dominique cozette

Une histoire épatante d'écrivains US dans les 50's.

C’est après sa mort qu’a été retrouvé le manuscrit pas complètement ficelé de Un dernier verre au bar sans nom. Il nous raconte la vie de trois couples ou pas couples de personnages qui ont l’ambition de devenir écrivain(e)s. Ils bougent entre San Francisco, Portland en Oregon, L.A., s’aident, se jalousent un peu, s’aiment, font un enfant ou pas, rencontrent rarement la bonne personne et boivent énormément. On est dans une frange de génération, celle de la beat qui adule encore les mythes de cette mouvance.
Aux Etats-Unis, ça m’a toujours frappée, on est écrivain(e) même si on n’a ni écrit ni publié. Donc tout ce petit monde parle de leurs projets, de leurs contacts avec les magazines qui publient énormément de nouvelles, porte d’entrée à la gloire. Le plus valorisant, évidemment, c’est quand une major d’Hollywood rachète les droits du roman pour en faire un film. Le plus dur, c’est de voir comment les tâcherons des studios ont laminé votre création pour un faire une stupidité sans âme.
Ce livre explique beaucoup de chose sur le monde littéraire américain, la guerre entre la côte Est et la côte Ouest, autrement dit les intellos new-yorkais et californiens. On y trouve aussi la façon de gagner sa bière ou sa dose quand on n’a pas réussi à percer comme auteur : on est récupéré par le cinéma qui vous parque dans un burlingue avec d’autres losers, certains plus doués pour savoir se placer et faire fi de leur amour propre pour pondre ce qu’attendent les studios. C’est assez gai car cette époque d’insouciance fait envie, cette façon de se retrouver en bande, dont Brautigan, dans les bistrots de SF où une femme peut se bourrer la tronche comme un homme sans que ça fasse scandale.
Les personnages sont denses, bien campés, les amitiés sont fortes, les liens sont solides. Mais l’enfant, seule naissance prématurée de cette bande, est livrée à elle-même et fustige la liberté de ses parents oublieux, alcoolos, baiseurs et égoïstes.
Un peu lent au démarrage (j’ai trouvé) mais ensuite on s’attache fortement à ces artistes, comme s’appellent les écrivains, plus ou moins déjantés.
Don Carpenter est né en 1931, a connu un énorme succès avec Sale temps pour les braves puis quelques romans. Il est aussi scenariste à Hollywood. Et se suicide en 1995. Postface de Jonathan Lethem qui explique comment il a travaillé sur ce manuscrit posthume.

Un dernier verre au bar sans nom de Don Carpenter, paru en 2016 chez 10-18. Traduit par Céline Leroy. 452 pages.

Texte © dominique cozette

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