La dernière fois que j’ai vu Adèle d’Astrid Eliard, 29 ans, raconte l’histoire d’une jeune fille, fermée, taciturne, qui s’évapore. Elle a laissé sa chambre en ordre, ce qu’elle ne faisait jamais, avec une chanson qui tourne en boucle pour laisser croire qu’elle est encore là. Mais elle n’a pas emporté son corset qui soutient sa colonne vertébrale en vrac. Elle le déteste comme elle se déteste. Adèle est partie. Elle a seize ans. Sa mère appelle le père, son ex, dont elle est séparée. Ils mettent au point un plan de recherches parmi et vont déposer une requête à la gendarmerie. Ils ont aussi un garçon, un peu plus jeune qu’Adèle, qui reste zen pour tente de réconforter sa mère à mesure que le manque et l’angoisse s’épaississent. Les recherches ne donnent rien du côté des collègues de classe, elle n’avait pas vraiment d’amis. Secrète et discrète, elle ne laissait rien paraître.
Quelques jours plus tard, un attentat a lieu au Forum des Halles qui fait des dizaines de victimes. L’un des terroristes est abattu. Bien qu’il n’ y ait que peu de chance qu’elle s’y trouve, la mère s’enfonce de plus en plus dans la panique. Elle dont le métier est de remettre debout des familles rongées par des maux d’ados, ne tient pas le choc. Elle sombre inéluctablement. Jusqu’à ce qu’elle voie, aux actus, la photo d’une jeune fille en hijab, la petite amie du terroriste, recherchée par toutes les polices, Hasna Bellaouar. Mais elle a reconnu Adèle. Dès lors, elle tente tout pour la retrouver, passe sont temps sur Internet, intègre une asso où se retrouvent les parents d’enfants partis faire le jihad. Là, elle rencontre la mère d’une ado qui a fui à Raqqa, comme sa fille et qui a un bébé. Mais le fil entre cette mère et sa fille fugitive a été tellement difficile à créer, il est tellement ténu, tellement soumis à des interdictions dont « parler de ça » qu’elle se refuse à lui demander si elle connaît Adèle. Elle lui apprend seulement que la plupart des filles réfugiées à Dacca sont mariées, parfois plusieurs fois, peuvent avoir un enfant, sont enfermées toutes ensemble dans une grande bâtisse avec pour seule mission de tenir la maison mais ne sont jamais envoyées sur le terrain de la guerre.
La mère d’Adèle est d’autant plus désespérée qu’elle est harcelée par les journalistes, les courriers malveillants, les menaces car, dans la plupart des cas, journalistes, policiers, public, les gens en général, mettent en cause la mère, en premier, surtout quand le père est parti. D’où son enfermement forcé, son obstination à ne voir personne. Sauf sa propre mère, hospitalisée pour cause d’Alzheimer, sa mère à qui elle peut déverser ses chagrins sans crainte de jugement car elle ne sait même plus qui est Adèle.
Une histoire qui interroge douloureusement sur nos propres enfants qu’on ne connaît en fait pas du tout.
La dernière fois que j’ai vu Adèle d’Astrid Eliard. 2019 au Mercure de France. 220 pages, 18,80 €.
Texte © dominique cozette