Le garçon du Femina

Le livre s’appelle le garçon et il a reçu le prix Femina. Le garçon s’appelle aussi le garçon car sa jeune mère, solitaire, est mourante au début du livre et il la porte sur son dos pour déposer son corps chez eux, sur un bûcher. Chez eux, c’est nulle part. Il ne sait rien, n’a jamais vu personne, est vêtu des frusques d’un épouvantail. Il ne parle pas, ne dira jamais un mot. Pour autant, il n’est pas demeuré. Il part. Il sait pêcher et attraper des bêtes. Commence un immense et sublime récit initiatique qui prend place de 1908 et finit en 1938. Il va découvrir la civilisation, les gens, la musique, l’amitié. L’amour. Et la guerre. L’horrible guerre.
Et nous avec lui, on va redécouvrir que nous sommes faits de chair et de sang, d’humeurs qui coulent de nous et de violence. Sa première grande rencontre s’appelle Brabek, l’ogre des Carpates. un lutteur rabelaisien qui se trimballe dans sa roulotte de village en village avec son vieux cheval dont s’éprend le garçon. Ils passent du bon temps tous les trois, mais un jour, l’accident avec les premières automobiles qui foncent à 30 km/h.
Il reprend connaissance dans un lit, soigné par une jeune femme et son père dans une belle maison. Ils ne sauront rien de lui mais elle, fille unique, adopte ce jeune garçon encore adolescent, ce sera son frère. Sauf qu’elle tremble à l’idée qu’une fois remis de sa blessure il repartira vers les siens. Mais il reste. Il découvre la ville, Paris, les arts, la littérature et la poésie qu’elle lui lit, les compositeurs qu’elle lui joue puis, peu à peu, l’amour qu’elle lui fait. Sublimes pages de la relation amoureuse qu’ils entretiennent d’inventions en inventions, de jeux inédits en jeux éternels.
Mais un jour, la guerre éclate. Elle ne veut pas qu’il parte, son père si, il a le sens du devoir et de l’honneur. Et la grande boucherie peut commencer. On y voit la guerre des tranchées de la façon la plus trash possible. On n’est pas épargnés, grâce aux lettres d’Emma qu’il ne sait pas lire, par la critique toujours actuelle d’une société avec ses puissants, bien planqués, bien au chaud, et sans scrupules et ses valets, ses gueux qui leur offrent leur vie. S’en sortira-t-il ? Je ne vous en dis pas plus.
J’aime beaucoup les intercalaires du roman qui, telle l’antienne de Cloclo, entonnent : cette année-là et nous débitent en deux temps trois mouvements les fondamentaux de l’histoire, de la science, du fait divers. On en apprend pas mal.
C’est un gros bouquin inouï, dément, d’une humanité torride et d’une érudition incroyable. L’écriture est superbe, poétique, inventive. Enorme, quoi.

Le garçon de Marcus Malte aux éditions Zulma, 2016. 540 pages, 23,50 €.

texte © dominique cozette

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