Encore un Tanguy Viel formidable !

Je ne sais pas ce qui se passe, mais je ne lis que des bouquins passionnants. Je les choisis avec soin, c’est vrai, mais j’ai quand même beaucoup de chance. Celui-ci, je l’ai pris après l’extraordinaire article 353 du code pénal et il s’intitule la disparition de Jim Sullivan. C’est encore un petit livre. Mais l’inspiration est énorme. Imaginez plutôt. Je suis écrivain, français, tiens, si j’écrivais un roman américain ? Car les romans américains sont des livres universels, pas comme ceux qui se passeraient sur le parvis pavé de la cathédrale de Chartres. C’est à peu près ainsi que Tanguy Viel va nous amener avec lui dans l’élaboration de ce roman passionnant, non pas par le contenu de l’histoire, mais par la forme qu’il emprunte.
Donc pour faire un roman américain, il faut se servir des ingrédients que Viel connaît bien car il en lit beaucoup. Il les énumère : les héros, les lieux, les activités, les spécificités… Par exemple, le héros aurait la cinquantaine et serait divorcé, comme dans tous les romans américains. Il vivrait à … Detroit. Viel nous explique pourquoi, il a d’ailleurs punaisé la carte des USA dans son bureau. Il ne sait pas trop comment il a trouvé ce nom de Dwayne Koster mais il sait qu’il lui a choisi une profession très roman américain, à savoir prof de littérature américaine dans un campus. La première scène se passe l’hiver, il se trouve dans sa voiture (description très appuyée des voitures, on est à Detroit quand même), fume et picole en matant, de l’autre côté du trottoir, les ombres chinoises de son ex- femmeavec le nouvel homme, derrières les rideaux de son ex-maison. Il nous apprend que son héros n’a pas le droit d’enfreindre les règles édictées par le jugement de divorce, à savoir aller plus près de la maison.
Il nous parle de tout ce qu’il doit décrire pour que son roman soit américain : les BBQ entre voisins, l’alcool, le base-ball, les équipes universitaires de football américain, les bars au décor skaï rouge, les paysages infinis, la pêche à la truite etc. Il nous raconte comment il hésite à faire faire ceci ou cela à son héros puis se décide mollement, mais son héros va le faire, toutes les grosses conneries, il va les faire, avec notre complicité plus ou moins. Oui, parce que l’amant de sa femme est un type qu’il déteste, d’où connerie en vue. En même temps, il est tout autant que sa femme à blâmer parce qu’il a pour maîtresse une de ses élèves, et ça, c’est complètement tabou. Donc, cette histoires va se construire dans les méandres du cerveau de l’auteur avec nous pour complices, c’est scotchant. Scotchant parce que dit comme ça, on peut penser qu’il n’y a pas moyen de s’y attacher, c’est trop distant, trop artificiel. Et pourtant si. Et plus que ça même, parce que c’est comme si on assistait à la naissance d’un être. On le regarde pousser, évoluer, stagner, aller là où on ne l’attendait pas. C’est très très fort.
Pourquoi la disparition de Jim Sullivan ? Parce que ce chanteur a disparu étrangement, en 1974, en plein désert du Nouveau-Mexique, sans qu’on ait su comment. Et que ce chanteur est celui que notre héros écoute volontiers dans sa voiture, notamment le titre UFO (=OVNI), persuadé comme beaucoup qu’il a été enlevé par des extra-terrestres. Cette anecdote servira à l’auteur dans le déroulé du pitch. C’est super !
En savoir plus sur Jim Sullivan ici, article Télérama.

La disparition de Jim Sullivan par Tanguy Viel. 2013. En poche Minuit. 142 pages. 7 €.

Texte © dominique cozette

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