Karl Beaudelere, l'artiste qui touche sa bille

Qui se cache sous ces étranges masques ? Un artiste pas comme les autres, qui s’efface pour mieux s’incarner. Et comment mieux s’incarner qu’en se portraitisant à l’infini. L’infini du chiffre 8, son chiffre peut-être, adepte qu’il est de la numérologie. Mais aussi l’infini du trait de ses stylos bille dont il remplit les grandes feuilles de ses carnets de croquis, sortes de gribouillages emplissant peu à peu les blancs, surlignant les traits déjà faits pour créer les noirs, imprimant un itinéraire de courbes et de cercles qui, magiquement vont composer une tête. Et quelle tête !


La sienne ? Non. Celle de Karl Beaudelere, son nom d’artiste. Ces immenses faux autoportraits « gribouillés » de façon saisissante le représentent en somme très peu. Ils donnent l’image d’un homme âgé alors qu’il vient d’avoir cinquante ans. Mais son visage — qu’il dévoile sans problème dans la vie courante — son allure, son style cuir-punk et sa voix enjouée le classeraient plutôt parmi les jeunes quadras.
Pourquoi le masque ? Parce qu’il a repris la vie de Charles Baudelaire là où elle s’était arrêtée. Comme il le dit dans une vidéo, « je suis re-né à travers lui qui est peut-être moi ». Et comme il me le dit en riant « je suis un peu schizo, je ne sais pas si je suis sa réincarnation, je ne sais pas si je suis son entité, je ne sais pas si je suis Charles Beaudelaire mais quand je porte ce masque, vous parlez à Baudelaire, ou plutôt à KX17, sa réincarnation ».

A part ça, rien que du très normal, l’homme est direct, chaleureux et gai. Derrière lui, un portrait grand format, au stylo bille comme tous les autres mais entouré de fleurs aux couleurs vives. Parce qu’il avait rêvé qu’il ferait un portrait aux fleurs. Sinon, il continue de dessiner juste la tête qu’il voit dans son miroir, qui n’est pas forcément la sienne puisqu’elle change tous les jours. Et qui n’est pas forcément entière car il n’y a plus de place sur la page.

Au départ était le street art, le pochoir, pour remplir ses insomnies, dues à son grand chagrin d’amour. Puis il se mit au Bic et comme il était fauché, il a acheté des sacs de stylos au rabais dans un bazar à six sous. Heureusement que ce ne furent pas des feutres car ceux-ci s’effacent avec la lumière et le temps. Le stylo, c’est du costaud, du durable. De l’impressionné impressionnant.

 

Karl Beaudelere n’a pas la vision de ce qu’il va faire. De ce que ça va donner. De ce qu’il veut rendre. Il commence toujours par un œil. Et sa main tourne sur la page. Parfois ce sont plutôt des traits que des courbes, alors il dit qu’il fait du mikado. Le tout est de ne pas rater la dernière ligne droite ou ronde : s’il se plante pour mettre un dernier éclat dans le regard, si l’œil se ternit, c’est le dessin entier qui est fichu. Pas moyen de rattraper. Pas de repentir possible, on n’est pas dans la peinture.

 

Chez lui, que du grand format. Il est dans le geste ample, il faut que la bille se balade, qu’elle prenne ses aises sur les grandes étendues blanches, qu’elle ait le loisir d’aller, venir, passer, repasser encore.
Sa première œuvre, la rouge ci-dessous, est, avec les fleurs, atypique, car non seulement la tête semble posée sur un semblant de cou, mais encore elle est ornée. Notre Dame de la Garde, la belle Marseillaise qui a accompagné sa vie, a scellé ses premiers pas d’artiste. Et quelques vers du grand poète en ont composé le décor.

 

L’artiste avoue ne pas savoir dessiner. Il est autodidacte, n’a suivi aucune méthode, n’a copié aucun savoir faire, il ne sait exprimer son art que selon cette technique qui tient de la mission impossible. Il lui faut en moyenne un mois pour réaliser un portrait. Alors comment fait-il pour que ses traits de Bic donnent autant de finesse et de modelé à ses œuvres ? Comment ne perd-il jamais confiance, comment n’a t-il pas la tentation de zébrer ou de sabrer les visages ?

 

 

Ci-dessous le gros plan d’un autre portrait rouge qui rend compte de l’entrelacs des traits et de la finesse du processus créatif.

 

Vous pourrez voir l’expo jusqu’au 14 mars. L’artiste, lui, sera à l’expo jusqu’à demain, samedi 7, puis il rejoindra sa belle pour une nouvelle vie dans une nouvelle ville que la sienne. Avec son sac de billes au bout de ses stylos.

Karl Beaudelere du 3 au 14 mars 2015 à la galerie Routes, 53 rue de Seine 75006 Paris. Site de la galerie clic
Ici un article
sur lui paru dans Artension en 2014.

Texte © dominique cozette

2 réflexions sur « Karl Beaudelere, l'artiste qui touche sa bille »

  1. Merci Madame Cozette pour cet article finement senti et superbement brossé ! Belle plume au service d’une belle pointe (Bic), les deux font la paire !

Les commentaires sont fermés.

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